Le Bâtonnier National a pris part, ce lundi 16 octobre 2023 dans la salle de congrès du Palais du peuple, à l'audience Solennelle et Publique de la Cour de Cassation organisée dans le cadre de la rentrée judiciaire, après deux mois de vacances.
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ALLOCUTION PRONONCÉE A LA COUR DE CASSATION
Thème : LA PENSION DE RETRAITE DU MAGISTRAT CONGOLAIS, PLAIDOYER POUR L’AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE VIE DU RETRAITE.
Aux termes de l’article 64 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, le 15 octobre de chaque année, la Cour de cassation se réunit en audience solennelle et publique au cours de laquelle le Premier Président prononce un discours, le Procureur Général une mercuriale et le Bâtonnier près la Cour de cassation une allocution.
Le 15 octobre de cette année tombant un dimanche, l’audience solennelle de la rentrée judiciaire de votre Cour a lieu ce jour.
Pour cette audience, et par ma voix, l’Ordre National des avocats a jugé utile d’aborder encore un sujet à caractère éminemment social à savoir LA PENSION DE RETRAITE DU MAGISTRAT CONGOLAIS, PLAIDOYER POUR L’AMELIORATION DES CONDITIONS DE VIE DU RETRAITE.
Pourquoi le choix d’un un tel sujet ? Tout simplement parce qu’après la retraite du magistrat, il y a toute une vie. L’avocat est le défenseur de tout le monde, y compris le magistrat lui-même.
La magistrature et le barreau sont deux Corps de la même famille judiciaire mais avec des rôles différents. Et d’ailleurs, les animateurs de ces deux Corps viennent de la même faculté, celle de droit.
En effet, la vie menée par certains magistrats retraités ainsi que la fin de leur vie ne laissent pas indifférent l’Ordre national des avocats. Il est donc naturel que celui-ci s’en préoccupe, l’avocat étant de par sa longue tradition, le défenseur attitré de la veuve et de l’orphelin pour ne pas dire des plus faibles de la société que deviennent fatalement ces retraités après avoir pourtant, durant leur carrière, décidé de la liberté, de la fortune et parfois même de la vie de leurs semblables.
Bien plus, au-delà de l’Ordre national des avocats, le présent sujet devrait intéresser particulièrement les magistrats encore en activité de service dans la mesure où la retraite constitue la gare normale de destination de leur carrière.
L’Ordre National des Avocats se réjouit de voir la cérémonie de ce jour s’organiser dans un contexte caractérisé par la volonté affirmée du Gouvernement de la République de redorer l’image de marque du pouvoir judiciaire, pouvoir judiciaire à travers lequel l’Etat congolais rassure ses citoyens de sa présence permanente dans sa fonction distributive de la justice pour tous.
Et avant d’entrer dans le vif du sujet, je me permets de rappeler à la bonne attention de votre Cour que l’année dernière, l’Ordre national des avocats avait émis son souhait le plus ardent de voir le Parlement examiner et adopter le projet de loi sur l’aide légale, en vue d’améliorer et d’étoffer le cadre juridique actuel de l’assistance judiciaire, spécialement en ce qui concerne l’obtention d’un conseil pro deo.
En attendant cette loi, comment ne pas saluer la promulgation, en date du 26 décembre 2022, de la loi n°22/065 fixant les principes fondamentaux relatifs à la protection des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité qui, non seulement accorde, désormais, aux victimes la dispense de paiement des frais de consignation, de justice et d’exécution ainsi que des droits proportionnels, mais aussi, garantit la prise en charge des honoraires des avocats par le Fonds National des réparations des Victimes.
Abordant le sujet du jour, je relève que lorsque des jeunes congolaises et congolais âgés de 21 à 40 ans postulent et se présentent au concours d’admission pour embrasser la carrière de magistrat, ceux-ci sont animés de l’ambition légitime de gravir tous les échelons et de terminer honorablement leur carrière.
Toutefois, se doutent-ils un seul instant que la carrière de magistrat est truffée d’embûches pouvant entraîner des sanctions de tout genre, voire la perte de tout espoir d’une bonne fin de carrière ?
Je me permets donc ici de féliciter et de rendre hommage aux magistrats retraités, et encore plus à ceux d’entre eux qui sont admis à l’honorariat et à l’éméritat car une telle admission n’est pas toujours évidente. L’honorariat étant le droit pour un ancien magistrat de porter, après la cessation définitive de ses fonctions le titre de son dernier grade au moment où intervient la fin de sa carrière, et l’éméritat étant le droit pour un ancien magistrat de continuer à bénéficier de son dernier traitement d’activité [Voy. article 83 alinéas 1 et 2 de la loi organique].
Comme vous le savez bien, la carrière de magistrat est régie par la Loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006 portant statut des magistrats telle que modifiée et complétée par la loi organique no 15/014 du 1er août 2015.
Et aux termes de l’article 70 de cette loi, le magistrat est mis à la retraite à la date à laquelle il atteint l’âge de soixante-cinq ans ou lorsqu’il a effectué une carrière de trente-cinq ans de service ininterrompu. Toutefois, en ce qui concerne spécialement le magistrat de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et des parquets généraux près ces juridictions, la limite d’âge pour sa retraite est fixée à soixante-dix ans.
Dans tous les cas, lorsque le magistrat a atteint l’âge de cinquante-cinq ans et qu’il a accompli une carrière d’au moins vingt-cinq ans de services, il peut faire valoir ses droits à la retraite anticipée.
Que dire alors de la pension de retraite qui garantit le reste de la vie du magistrat sur cette terre des hommes ?
La réponse à cette interrogation est contenue non seulement dans le statut des magistrats mais également dans la nouvelle loi n°22/031 du 15 juillet 2022 portant régime spécial de sécurité sociale des agents publics de l’État car cette loi en son article 2 point 4 s’applique aussi aux magistrats sans préjudice de leur statut particulier [Journal Officiel, numéro spécial, 63ème année, première partie, du 10 août 2022].
Au titre du statut des magistrats (articles 71 et 74) le magistrat retraité a essentiellement droit :
Pour plus de clarté, il faudrait retenir qu’aux termes du statut des magistrats, le magistrat retraité bénéficie, selon le cas, des trois-quarts ou de la totalité du traitement attaché à son dernier grade.
Il est donc établi que l’amélioration de la pension de retraite perçue au titre du statut des magistrats est totalement dépendante de l’augmentation du traitement des magistrats en activité de service.
C’est donc ici l’occasion de saluer particulièrement la volonté et le souci permanent de Son Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, d’améliorer les conditions de vie du magistrat congolais tel que rappelé lors de l’ouverture de la session de formation des magistrats nouvellement nommés avec l’espoir de voir la justice élever notre nation.
En effet, l’amélioration des conditions de vie et de rémunération du magistrat en activité de service impactera absolument et nécessairement les conditions de vie et de la pension du magistrat retraité.
Le magistrat retraité devrait bénéficier régulièrement non seulement de sa pension de retraite mais aussi de tous ses autres droits et avantages sociaux tels que les soins de santé et les frais funéraires.
Comme rappelé plus haut, la pension de retraite du magistrat est également régie par la nouvelle loi du 15 juillet 2022 portant régime spécial de sécurité sociale des agents publics de l’Etat, applicable au magistrat, déjà défini comme agent public de l’Etat par le Décret-loi n°017/2002 du 3 octobre 2002 portant code de conduite de l’agent public de l’Etat.
Ce régime prévoit une affiliation obligatoire (article 8) et une retenue à la source sur les revenus des assujettis, qui sont aussi des magistrats (article 17).
Toutefois, pour bénéficier de la pension de retraite prévue par ce régime, le magistrat doit remplir simultanément les deux conditions suivantes :
Ce régime prévoit également que l’assujetti (donc le magistrat), sans pouvoir justifier d’une période d’assurance minimum de 180 mois, bénéficie d’une allocation unique de vieillesse dont le montant est égal à la pension mensuelle à laquelle il aurait eu droit s’il avait totalisé 180 mois d’assurance, multiplié par la durée d’assurance effective exprimée en année (articles 40 et 42).
Ce régime prévoit, enfin, que lorsque le barème des traitements attachés aux grades des agents en activité de service subit une augmentation, les pensions et rentes sont également revues.
Je me dois de vous avouer que les dispositions de ce régime spécial de sécurité sociale ne s’appliqueront hélas qu’aux jeunes magistrats nouvellement recrutés et éventuellement à ceux des magistrats qui ont encore une vingtaine d’années de carrière qui pourront ainsi percevoir en réalité deux pensions de retraite, l’une fondée sur le statut des magistrats et l’autre sur ce régime spécial de sécurité sociale.
C’est donc pour eux une réelle perspective de meilleurs jours de pension pour autant qu’ils exercent leur carrière dans la droiture et le respect de l’éthique professionnelle.
S’agissant spécialement de l’allocation de fin de carrière exempte de toute imposition prévue à l’article 74 de la loi organique portant statut des magistrats, il faut dire haut et fort qu’il est souhaitable que le magistrat retraité ne fasse plus un parcours de combattant pour obtenir son paiement.
Il en est de même, en cas de décès du magistrat retraité, le conjoint survivant a aussi droit à une rente de survie et les orphelins ont aussi droit à une rente d’orphelin jusqu’à l’âge de 18 ans et par dérogation pour les orphelins qui poursuivent normalement leurs études ou qui sont en apprentissage non rémunéré jusqu’à l’âge de Vingt-cinq ans. (Articles 76, 77 et 78 de la loi organique portant statut des magistrats).
C’est pour toutes ces raisons que la retraite ne devrait pas être vécue comme une fatalité qui frappe la famille du magistrat concerné mais plutôt comme une simple étape de la vie pour autant que ses droits et avantages sociaux lui soient régulièrement versés.
La nation congolaise, quant à elle, devrait être reconnaissante envers ceux qui ont servi la République avec fidélité, dévouement, dignité, loyauté et intégrité, et ce, au mieux de leurs forces depuis leur jeunesse jusqu’au moment de leur fin de carrière.
Le magistrat retraité ne devrait pas paraître à nos yeux comme l’oublié de la nation, lui qui a tout donné dans sa noble mission de justice au service de cette nation. Sa grande joie de vivre devrait tirer sa source des conditions de vie découlant de ses droits nés de la fin de sa carrière.
Il n’est donc pas ici question d’avoir un regard de compassion à l’égard du magistrat retraité mais plutôt de plaider pour l’amélioration de ses conditions de vie, le paiement régulier ce qui lui est dû ainsi que le versement de ses allocations et avantages sociaux.
Souvenons-nous de ceux qui ont servi la République et dont la fin de carrière est aussi méritante que l’activité du magistrat encore en service.
Le fait de voir le magistrat retraité vivre dignement rassurera davantage le magistrat encore en activité de service, et la retraite ne sera, dans ces conditions comme dit précédemment, qu’un idéal à atteindre avec sérénité.
Puisse ce cri être entendu afin de voir la pension de retraite du magistrat congolais être améliorée et tous ses droits lui être régulièrement versés car j’observe, j’affirme et je confirme qu’après la carrière, il y a toute une vie que constitue la retraite.
Pour toutes ces raisons et considérations, je plaide, pour la reprise des travaux de votre Cour.
J’ai dit et je vous remercie.
Fait à Kinshasa, le 16 octobre 2023
Bâtonnier National Michel SHEBELE MAKOBA