ALLOCUTION PRONONCÉE AU CONSEIL D’ETAT PAR LE BATONNIER NATIONAL

ALLOCUTION PRONONCÉE AU CONSEIL D’ETAT

Thème : HYMNE A LA CULTURE DE REQUÉRIR LES AVIS MOTIVÉS DU Conseil D’ETAT PAR LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES DU POUVOIR  CENTRAL.

  • Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat (Avec l’expression de mes hommages les plus déférents);
  • Honorable Président de l’Assemblée nationale;
  • Honorable Président du Sénat ;
  • Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement ;
  • Monsieur le Président de la Cour Constitutionnelle et Président du Conseil Supérieur de la Magistrature ;
  • Honorables Députés et Sénateurs ;
  • Mesdames et Messieurs les membres du Gouvernement ;
  • Messieurs les membres du bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature ;
  • Madame la Première Présidente du Conseil d’Etat,
  • Monsieur le Procureur général près le Conseil d’Etat,
  • Mesdames et Messieurs les Magistrats ;
  • Mesdames et Messieurs les Avocats, mes Chers et Honorés Confrères ;
  • Mesdames et Messieurs, en vos qualités et titres respectifs ;

Aux termes de l’article 24 de la loi organique n° 16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, le 30 octobre de chaque année, le Conseil d’État se réunit en audience solennelle et publique au cours de laquelle le Premier Président prononce un discours, le Procureur Général une mercuriale et le Bâtonnier du Barreau près le Conseil d’État une allocution.

Pour la présente audience, j’entends vous entretenir d’un sujet portant sur la nécessité pour les autorités administratives du pouvoir central de requérir les avis motivés du Conseil d’Etat quant à la légalité et à la régularité juridique de leurs projets ou propositions d’acte législatif, de règlement ou de décision afin de contribuer positivement chaque jour à l’édification d’un Etat de droit et ce, pour des raisons que je vais avancer tout à l’heure, car l’Ordre National des Avocats, loin d’être une simple sentinelle, demeure un vigile avisé de notre société.

Aussi, ai-je jugé utile d’intituler mon allocution  de ce jour : « HYMNE A LA CULTURE DE REQUÉRIR LES AVIS MOTIVÉS DU CONSEIL  D’ETAT PAR LES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES DU POUVOIR  CENTRAL »

Hymne, non pas que je chante par ma voix, peut-être par les mots mais parce qu’il est toujours beau de chanter à la gloire de la légalité.

Plus qu’un thème, c’est donc une exhortation.

Je me dois de rappeler qu’en droit congolais, les compétences du  Conseil d’Etat proviennent, d’une part, de la Constitution, et d’autre part, de la loi.

Ainsi, la Constitution en son article 155 alinéa 1er fait du Conseil d’Etat  une haute juridiction appelée à connaître, en premier et dernier ressort, des recours pour violation de la loi, formés contre les actes, règlements et décisions des autorités administratives centrales, alors que la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif confie au Conseil d’Etat, par le biais de sa section consultative, d’autres compétences non juridictionnelles, à savoir :

  • donner des avis motivés sur la régularité juridique de tout projet ou de toute proposition d’acte législatif, règlement ou décision dont elle est saisie par les autorités du pouvoir central ainsi que par celles des organismes placés sous leur tutelle (Article 82);
  • donner des avis motivés sur la légalité ou sur la constitutionnalité des dispositions des textes sur lesquelles elle est consultée et, s’il y a lieu, sur la pertinence des moyens juridiques retenus pour atteindre les objectifs que les autorités administratives centrales se sont assignés, en tenant compte des contraintes inhérentes à l’action administrative (Article 83);
  • répondre aux questions qui soulèvent une difficulté d’interprétation des textes juridiques devant une juridiction ou une autorité administrative centrale et attirer l’attention des pouvoirs publics sur les réformes qui paraissent souhaitables pour l’intérêt général (Article 84);
  • enfin, se prononcer sur les difficultés d’interprétation des textes juridiques (Article 82 dernier alinéa).

Par ces compétences légales susmentionnées, le Conseil d’Etat joue le rôle du véritable conseiller juridique des autorités administratives du pouvoir central, notamment le Gouvernement, les chambres parlementaires et les organismes placés sous leur tutelle.

Il y a lieu de souligner qu’il ne s’agit pas ici d’une invention du législateur congolais. En effet, celui-ci s’est inspiré du droit français, où du fait de la constitution, le Conseil d’Etat joue un rôle similaire, à savoir celui de garantir la sécurité juridique des projets de textes qui lui sont soumis et de veiller ainsi à ce que ces projets respectent la Constitution et le droit national, soient cohérents, compréhensibles et applicables par tous.

A ce propos, Jacques CHEVALLIER rappelle qu’en France, le Conseil d’Etat contrôle, en tant que conseiller juridique du Gouvernement, tous les maillons de la production juridique, de l’amont en aval, de l’élaboration à l’application, et son intervention ne se réduit pas à un seul souci de rigueur formelle, encore moins, à une simple exigence de cohérence du dispositif, elle conduit le Conseil d'Etat à peser sur le contenu même des normes([1]).

Il est donc facile de comprendre que dans le droit français, le Conseil d’Etat détient même un pouvoir de censure sur les projets émanant du Gouvernement et des chambres parlementaires.

En effet, les services publics organisés en administration sont destinés à réaliser concrètement les objectifs définis par le pouvoir politique([2]).

Et pour réaliser les objectifs définis par le pouvoir politique, les autorités administratives sont amenées à prendre des décisions ou à initier des projets ou des propositions d’actes législatifs voire des règlements.

En République Démocratique du Congo, dès lors que la loi organique du 15 octobre 2016 donne aux autorités administratives le droit de régulièrement consulter le Conseil d’Etat et de lui soumettre leurs projets ou propositions d’acte législatif, de règlement ou de décision, comment ces autorités administratives se comportent-elles au quotidien ?

A ce jour et sous toutes réserves d’usage, renseignements pris au greffe de la section consultative du Conseil d’Etat sur les différents dossiers enrôlés, qu’il s’agisse du rôle d’interprétation des textes juridiques (R.I.T.E) ou du rôle d’avis des pertinences juridiques sur les réformes (R.A.P.J), il est un constat amer que les autorités administratives  consultent rarement  le Conseil d’Etat en recourant aux dispositions légales invoquées ci-dessus.

En effet, depuis l’installation du Conseil d'Etat en décembre 2018 , il a été enregistré à la section consultative :

1°) s’agissant du rôle d’avis des pertinences juridiques sur les réformes (R.A.P.J) : une (1) seule requête a été enrôlée sur pratiquement 5  ans ;

2°) s’agissant du rôle d’interprétation des textes juridiques (R.I.T.E) : soixante-quinze (75) requêtes ont été enrôlées sur une période pratiquement de 5 ans soit 15 requêtes par an soit une (1) requête seulement par mois.

 Ce qui prouve un véritable désintéressement.

Et comparativement à la section du contentieux du Conseil d'Etat, il a été plutôt enrôlé sur presque 5 ans, plus ou moins 1.068 requêtes soit 214 requêtes par an, soit plus ou moins 18 dossiers par mois.

Le constat qui en résulte est  qu’il y a véritablement dans le chef des autorités administratives, une absence d’un besoin de consultation de ladite section du Conseil d’Etat.

A mon humble avis, l’intérêt général au nom duquel agissent les autorités administratives commanderait que la légalité et la régularité juridique de leurs décisions soient garanties par le Conseil d’Etat afin de protéger les droits des Administrés et ce, à titre préventif et non curatif.

Pourquoi un tel hymne en matière administrative ?

Trois raisons majeures s’imposent à savoir :

  • premièrement, pour éviter de porter atteinte aux droits garantis aux particuliers ;
  • deuxièmement, pour éviter tout excès de pouvoir entendu, comme le définit Gérard CORNU, l’ensemble des violations par l’Administration du principe de légalité [Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 7ème édition, juin 2005, p.375] ;
  • troisièmement enfin, pour éviter tout détournement de pouvoir entendu comme illégalité consistant, pour une autorité administrative, à mettre en œuvre l’une de ses compétences dans un but autre que celui en vue duquel elle lui a été conférée [Lexique des termes juridiques, 18ème édition, 2011, p.282]. Il en est de même du non-respect de la sphère de compétence de chaque autorité administrative.

Pour quelle raison faut-il éviter l’excès et le détournement de pouvoir ainsi que le fait de porter atteinte aux droits garantis aux particuliers en droit administratif ?

Pour une bonne et simple raison de prudence afin d’éviter que l’administration n’engage inutilement sa responsabilité susceptible d’entrainer des conséquences financières à charge du trésor public et que donc à charge de l’État congolais, même si, conformément à l’article 132 de la même loi organique, l’avis de la section consultative ne lie pas l’autorité requérante, de même qu’il ne fait pas obstacle à toute action ultérieure contre l’acte pour cause notamment de non-conformité à la Constitution, aux traités dûment ratifiés, aux lois, aux édits et aux règlements supérieurs.

Il s’agit plutôt ici de s’entourer des conseils avisés des magistrats de carrière qui ne sont guidés que par le seul souci de la légalité. Et d’ailleurs, le Conseil d'Etat peut, le cas échéant, proposer un texte supplétif conformément à l’article 131 dernier alinéa de la loi organique des juridictions de l’ordre administratif.

A  propos de la problématique de la responsabilité de l’Administration, il ne serait pas vain de souligner que dans son arrêt RA 76 du 9 septembre 1985, la Cour suprême de justice avait déjà rappelé que « puisqu’une administration normalement prudente et diligente n’ignore pas la loi et l’interprète correctement, l’Administration est responsable des erreurs de droit qu’elle commet elle-même » [CSJ. RA 76, 9 septembre 1985, Affaire TSHITSHIMBA MBALA c/République du Zaïre, in Revue analytique de jurisprudence du Congo, Volume I, Fascicule Unique, 1996, pp. 33-34, in Odon NSUMBU KABU, Cour suprême de justice, Héritage d demi-siècle de jurisprudence, Les Analyses juridiques, Kinshasa, 2015, p.1006].

Or, il n’est pas certain voire évident, qu’en toutes circonstances, l’administration maîtrise et interprète correctement la loi.

D’où l’intérêt réel de s’adresser aux juges administratifs qualifiés que sont les juges du Conseil d'Etat.

Il devrait s’agir d’un réflexe normal pour ne pas dire de toute une culture dans le souci permanent de se préoccuper et de s’assurer de la légalité et de la régularité juridique des projets des décisions à prendre.  

Il reste bien entendu que pour la consolidation d’une telle culture dans notre pays, le Conseil d’Etat devrait garantir aux autorités administratives la promptitude de donner les avis sollicités dans le délai légal maximum requis d’un mois de sa saisine conformément à l’article 131 de la loi organique des juridictions de l’ordre administratif afin de permettre aux autorités requérantes  d’agir en temps voulu.

Il est donc indispensable que naisse dans notre pays et que soit encrée dans le chef des Autorités Administratives, cette culture de recourir à la section consultative du Conseil d’Etat pour des avis motivés et ce, dans l’intérêt supérieur des Administrés, les autorités administratives étant avant tout au service de la nation.

En instituant la section consultative du Conseil d'Etat, le législateur congolais a entendu mettre à la disposition des autorités administratives un cadre juridique leur permettant de  s’assurer, en amont, de la légalité et de la régularité juridique de leurs projets ou propositions d’acte législatif, de décision ou de règlement.

J’ose donc espérer que mon exhortation ne sera pas vaine, car sinon, la section consultative du Conseil d'Etat ne servirait à rien ou mieux n’aurait aucune utilité, ou alors elle n’aurait qu’un caractère « explétif », je dis bien explétif, c’est-à-dire ne servant qu’à remplir une phrase sans être nécessaire ou encore que la création d’une telle section consultative ne serait destinée qu’à une simple beauté du style légistique et rédactionnel pour ne pas dire qu’elle ne servirait qu’à embellir les dispositions contenues dans la loi organique des juridictions de l’ordre administratif. 

Madame la Première Présidente,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Espérant avoir été entendu, et pour toutes ces raisons et considérations, je plaide, pour la reprise des travaux du Conseil d’Etat.

J’ai dit et je vous remercie.

 

Fait à Kinshasa, le 30 octobre 2023

 

Bâtonnier National Michel SHEBELE MAKOBA

 

 

 

 

([1]) Jacques CHEVALLIER, Dans pouvoirs, 2007, 4ème 23, pages 5 à 17, Éditions Le Seuil

([2]) Lire Félix VUNDUAWE TE PEMAKO, Traité de droit administratif, Larcier, Bruxelles, 2007, p.19 

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